mercredi 11 janvier 2012

Retour sur les premiers huit mois du règne majoritaire de Stephen Harper

par Rémi Frenette

En ce début du nouvel an 2012, Le Front jette un regard sur le règne du gouvernement Harper élu en majorité le deux mai dernier.

Des professeurs de l’Université de Moncton estiment que le Canada s’engage dans un parcours bien différent de celui tracé historiquement par le pays. Les valeurs linguistiques et l’économie nationales, entre autre, se voient radicalement transformées dans un tournant idéologique vers la droite.

Ronald LeBlanc, professeur d’économie au campus de Moncton, affirme que Harper « s’en va définitivement dans un autre sens. Il est en train de créer un nouveau Canada, à l’américaine ».

LeBlanc n’y voit cependant rien de surprenant : « Il fait ce qu’il a dit qu’il allait faire : il met des ressources dans la prison, des ressources dans l’armement, il est en train de reculer le fédéral du champ des provinces et ainsi de suite. »

L’économiste considère que l’élection majoritaire permet simplement au gouvernement d’adopter les mesures qu’il envisage depuis sa première élection.

Par exemple, depuis 2006, le premier ministre met beaucoup d’emphase sur le besoin de resserrer la sévérité du système pénal. Des mesures concrètes ont été adoptées le mois dernier avec l’adoption du bill C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Ce projet de loi raffermit les sentences accordées aux jeunes délinquants, au trafic et à la production de drogues, il croît le temps requis pour demander pardon (suspension du casier judiciaire) et élimine des peines d’emprisonnement à domicile au profit du temps de prison, entre autre.

LeBlanc se dit dépassé par le bill C-10 en raison de ses coûts importants et de ses justifications douteuses : « On met des milliards dans la prison alors que le taux de criminalité est à la baisse ». En effet, la criminalité n’a jamais été aussi statistiquement basse au pays depuis 1973.

« Pour moi, c’est une politique de la peur. Ils nous effraient avec l’armée, avec la criminalité. On n’a pas besoin de dépenser là-dedans », de dire LeBlanc.

Le financement du militaire est aussi remis en question par l’économiste : « On va dépenser des milliard pour des avions [F-35]. Pour qui? Pour tirer sur les américains? Pour tirer sur les Russes? Qu’est-ce qu’on fait avec des avions militaires? » Il souligne également le contrat de 25 milliards signé entre le Canada et la compagnie Irving. Cette entente inaugure la construction de bateaux de guerre à Halifax.

Selon LeBlanc, il est trop tard pour revamper le militarisme canadien. Même dans le but de se tailler une part de l’Arctique, actuellement revendiqué par plusieurs pays, c’est par la diplomatie que le Canada a ses meilleures chances.

Il faut tout de même dire que le Canada a beaucoup moins souffert que d’autres pays occidentaux de la crise économique de 2008. LeBlanc précise cependant que cela n’a rien à voir avec les politiques du gouvernement actuel : « C’est [dû à] une règlementation assez sévère des marchés financiers qui a été faite par les libéraux dans le passé. » Il explique que les libéraux n’ont pas permis aux banques canadiennes de se fusionner, les empêchant ainsi de spéculer librement sur les marchés internationaux. La lourdeur de la crise récente aux États-Unis serait une conséquence de ce genre de dérèglementation.

L’autre aspect favorable à l’économie canadienne selon LeBlanc est son secteur énergétique. Il rappelle que le Canada demeure un grand exportateur de pétrole, de gaz naturels et d’électricité. Mais l’exploitation de ces ressources est elle-même controversée. Le mois dernier, quand le Canada s’est retiré du Protocole de Kyoto, les médias ont vite fait de pointer du doigt l’exploitation des sables bitumeux dans l’Ouest du pays. Ce genre d’industrie, on le comprend très bien, ne peut atteindre son plein potentiel économique lorsque des politiques contraignantes exigent le respect de l’environnement.

LeBlanc entrevoit aussi le retour à ce qu’il appelle le fédéralisme classique, c’est-à-dire un État fédéral qui laisse les provinces assumer les coûts de leurs institutions. Les programmes de péréquation laissent alors la place à une base par capita. Tandis que les péréquations redistribuent le financement vers les provinces les plus pauvres, la base par capita calcule l’allocution des montants selon la taille de la population. Les conséquences de cette approche sont claires d’après l’économiste : les inégalités vont croître, autant entre les provinces aisées et défavorisées qu’entre les individus riches et pauvres.

Pour Laurence Arrighi, professeure de linguistique au Campus de Moncton, le bilinguisme canadien n’est pas à son stade le plus glorieux.

Les nominations de Micheal Ferguson au poste de vérificateur général, de Michael Moldaver à la cour suprême et d’Angelo Persichilli comme directeur des communications sont alarmantes. Laurence Arrighi note que ce sont des hautes fonctions dans l’appareil fédéral et que leur unilinguisme anglophone indique une certaine indifférence quant au fait français de la part du gouvernement actuel : « Sans doute que dans les faits, ils montrent le peu de considération qu’ils accordent au bilinguisme canadien. Ça, c’est sûr et certain. »

Dans la même veine, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, décidait récemment de supprimer le verso francophone de sa carte d’affaire. « De là à pousser la bêtise jusqu’à vouloir des cartes unilingues, je trouve ça un peu fort », s’exclame Arrighi.

Elle n’envisage pas nécessairement de reculs sur le plan linguistique, par exemple en supprimant des lois déjà existantes. Cependant, elle n’entrevoit pas d’avancées ni une attitude proactive visant à améliorer les lois linguistiques au pays.

Cela ne signifie cependant pas pour elle que le gouvernement Harper soit hostile au fait francophone. Il faudrait plutôt parler d’un manque de sensibilisation ou de compréhension des enjeux auxquels font face les minorités. Selon la linguiste, la faiblesse actuelle du souverainisme québécois est peut-être explicative du peu d’intérêt que le fédéral accorde au français.

Laurence Arrighi se souvient de ses anciennes impressions du Canada : « Il y a quinze ou vingt ans, quand j’ai commencé ma formation linguistique, tu ne pouvais pas parler de politique et d’aménagement linguistique sans mettre de l’avant l’exemple canadien. C’était vraiment un exemple, supposément, de politique et d’un aménagement linguistique harmonieux, réussi, complet. »

Ces réflexions concordent avec celles de Ronald LeBlanc qui voyait un Canada beaucoup plus diplomate sur le plan politico-militaire et égalitaire sur le plan économique.

Cette courte enquête auprès des professeurs de l’Université de Moncton dresse un sombre portrait de la dernière année et des prochaines à venir sous le gouvernement Harper, notamment en ce qui concerne les Acadiens. Francophones habitant une région économiquement défavorisée, ils n’auront qu’à bien se tenir durant les trois prochaines années si le Canada maintient son nouveau cap idéologique.

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